L'auteur du compte rendu: Perrine Cayron, après une hypokhâgne et une khâgne en Lettres classiques, a poursuivi son cursus en histoire. Elle est l'auteur d'un mémoire de maîtrise sur Jacob et sa maison aux temps carolingiens sous la direction d'Yves Sassier. Elle est actuellement enseignante.
«Il est des choses qui ne sont que des choses et d’autres qui sont aussi des signes (...). Parmi ces signes, certains sont seulement des signaux, d’autres sont des marques ou des attributs, d’autres encore sont des symboles» (Saint Augustin)
Michel Pastoureau a lui-même placé cette sublime citation de Saint Augustin au fronton de son ouvrage. Avec une telle sentence, ce livre ne pouvait se placer sous de meilleurs auspices. Pour l’historien médiéviste, il n’y a pas de distinction valable entre les domaines politique, social ou religieux et, de même, il n’y a pas de réalité historique médiévale sans l’imaginaire qui lui est indéfectiblement attaché. «L’imaginaire fait toujours partie de la réalité, il est une réalité». En effet, le symbole est la seconde nature des auteurs médiévaux, un mode de pensée et de sensibilité à la fois très familier et très usité. Son décryptage est donc la voie royale pour cerner et comprendre cet univers si particulier et si cher à l’auteur.
Michel Pastoureau consacre la première des six sections de son ouvrage au règne animal renouant ainsi avec ses premiers travaux, puisque sa thèse de l’Ecole des Chartes avait pour titre : Le Bestiaire héraldique médiéval (1972). Les autres univers qu’il a explorés par la suite ne sont pas en reste puisque la couleur (sa perception, sa signification religieuse et profane ainsi que les artisans qui lui donnent le jour) ou encore les emblèmes trouvent ici leur place. Tous les sujets abordés ici sont le fruit de longues réflexions et ont été l’objet de séminaires à l’E.H.E.S.S. et à l’E.P.H.E. ; ils ont été rassemblés dans ce volume dans un but précis, exposé par l’auteur dans l’introduction : «[ils] ne prétendent pas constituer un traité du symbole médiéval, mais simplement aider à définir ce que pourrait être cette discipline à naître : l’histoire symbolique» (p.14).
Puisque l’imaginaire est l’une des composantes essentielles de la réalité médiévale et que le corpus de sources mis à la disposition de l’historien est majoritairement composé de textes, il convient de se pencher d’abord sur l’étymologie. En effet, cette science de l’origine, de la filiation et de la formation des mots est un terrain de prédilection pour qui traque les «signes». C’est pourquoi, le choix des mots et l’établissement d’étymologies qui nous paraissent aujourd’hui fantaisistes doivent être examinés avec le plus grand soin. Isidore de Séville (fin VIe-début VIIe siècles) avec son Originum sive etymologiarum libri, est une source formidable aussi bien pour vérifier des filiations aujourd’hui scientifiquement avérées que pour éclairer et expliquer bon nombre de croyances, d’images et de systèmes de pensée ou de comportements. Car le symbole doit avant tout être compris comme un système de valeurs ou plutôt de correspondances. Si le vocabulaire occupe une place si prépondérante, c’est parce que tout est dit par le nom. De même que Dieu nomme ses créatures dans la Genèse (la parole divine est toujours performative), au Moyen Age, nommer est un moment crucial parce que le nom «entretient des rapports étroits avec le destin de celui qui le porte» (p.16). Ce principe se vérifie aisément lorsqu’on examine les noms de saints. Une partie des saints guérisseurs doivent leurs pouvoirs thérapeutiques ou prophylactiques à leur nom. La relation parlante entre le nom du saint et celui de la maladie n’étant pas la même dans les différentes langues, les vertus de chaque saint diffèrent selon les pays considérés. Ainsi, pour la cécité ou les maux oculaires, on évoque saint Augustin en Allemagne (die Augen), on sollicite sainte Claire en France et enfin sainte Lucie en Italie (lux, lucis : la lumière).
Parmi les seize chapitres présentés, deux se trouvant dans la dernière section intitulée «Résonances», contiennent des études qui s’ouvrent sur des époques ultérieures (le bestiaire de La Fontaine, Nerval, lecteur des images médiévales et Ivanhoé de Walter Scott) ; elles nous montrent à quel point le XVIIe et le XIXe siècles sont les héritiers de l’héraldique médiévale et également que le talent de l’auteur ne se borne pas à l’exercice de ses compétences sur le Moyen Age, car il livre une admirable analyse du poème El Desdichado (pp.317-326).
Dans tout l’ouvrage, une idée majeure transparaît, celle qui consiste à révéler le vrai Moyen Age aussi bien dans les sources et images d’époque que dans les œuvres littéraires qui se donnent pour sujet un Moyen Age rêvé et exemplaire. Le symbole a toujours pour signifié une entité abstraite, une notion, un concept. Nous avons beaucoup évoqué les mots ; mais ce qui est vrai pour ceux-ci l’est aussi pour les nombres, les formes, les couleurs, les animaux, les végétaux et tous les signes qui suggèrent et induisent autant qu’ils disent. Les symboles sont des portes d’entrée donnant accès à l’imaginaire, facette de la réalité.
Perrine Cayron
( Mis en ligne le 05/06/2004 )